Dans une autobiographie ou un livre de famille, peut-on intégrer des photos de personnes encore vivantes ?
Des photos de personnes décédées ? Et qu’en est-il des photos d’enfants ?…
Quels sont les risques ?
Une spécialiste nous parle du droit à l’image (respect de la vie privée) : l’avocate et photographe Joëlle Verbrugge !
Si mon livre reste diffusé dans le cercle familial*
J. V. : A priori, lorsque le livre est à destination purement familiale et ne sort pas de ce cadre, il ne s’agit pas d’une « publication » au sens du droit à l’image.
Dès lors, on peut faire ce que l’on souhaite, sans avoir besoin de demander l’autorisation à qui que ce soit… et l’on assume les éventuels conflits internes que cela peut générer. Ceci ne ressortira alors plus du droit à l’image à proprement parler.
Il n’y a donc aucun risque ?
J. V. : Le seul risque que je vois, mais il est un peu extrême, serait un risque de révocation de donation pour ingratitude, mais il faudrait alors – c’est du pur droit familial :
● que la personne représentée ait fait une donation à la personne qui crée le livre ;
● que les photos soient à ce point préjudiciables que le donateur invoque l’ingratitude pour révoquer la donation ;
● et, en cas de procédure, que le tribunal confirme cette analyse.
C’est donc pousser un peu loin, et je crois que le risque est marginal.
Publier uniquement des personnes de dos n’est pas une solution !
On pourrait aussi imaginer que dans une situation familiale complexe, un membre d’une famille estime subir un dommage du fait de la création de ce livre révélant certains secrets qui remonteraient ainsi à la surface.
Mais à nouveau, une éventuelle action en justice serait plutôt basée sur les règles générales de droit de la responsabilité extra-contractuelle plutôt que sur le droit à l’image ou au respect de la vie privée.
Ma réponse ne prend pas en compte, par contre, les aspects psychologiques des relations familiales, que chacun appréciera à sa façon.
Je n’ai pas encore trouvé, en tout cas, de décision de jurisprudence indiquant qu’une publication dans le seul cercle familial puisse donner lieu à une action basée sur le droit à l’image ou le respect de la vie privée.
Si je diffuse des photos en dehors du cercle familial (vente de mon livre, publication sur un blog…)
J. V. : Il est nécessaire de demander une autorisation aux personnes concernées.
S’il s’agit de faire du commerce, il faut absolument éviter d’utiliser une photo montrant une personne reconnaissable sans l’accord de cette personne.
À cet égard, la jurisprudence reste constante et les condamnations sont parfois sévères (sans aller toutefois jusqu’aux montants que l’on voit dans les séries américaines).
S’il s’agit d’une publication à caractère artistique, on retombera sur la règle mise en avant dans l’affaire Banier : la personne représentée doit, pour s’opposer à la publication, démontrer que celle-ci lui cause « des conséquences d’une particulière gravité ». Voir ici pour le récit complet de cette affaire, qui a donné lieu à l’arrêt de principe fondant la jurisprudence actuelle.
Y a-t-il un distinguo à faire entre personnes vivantes et personnes décédées ?
J. V. : Le « droit à l’image » à proprement parler s’éteint au décès de la personne représentée. Ne reste plus alors qu’un droit propre des proches, que l’on nomme le « préjudice d’affliction » (NDLR : préjudice moral, y compris l’atteinte à la mémoire du défunt et le respect dû au mort).
Et entre une banale photo de réunion familiale et la photo peu flatteuse d’un parent, par exemple ?
J. V. : Oui, absolument, car les risques que la personne puisse alors démontrer que la diffusion de la photo a pour elle « des conséquences d’une particulière gravité » augmentent…
Bien sûr, le magistrat appréciera en cas de procédure, mais le risque existe.
Si mon livre contient des photos de mes enfants petits, ai-je le droit de le diffuser hors du cercle familial ?
J. V. : Si vous diffusez des photos de vos enfants, deux possibilités :
- soit ils sont toujours mineurs, et c’est vous (et l’autre parent) qui décidez de l’opportunité de diffuser (il faut l’accord des deux parents pour diffuser dans un cadre comme celui-là). Lorsque les parents sont divorcés, il arrive que cela suscite quelques difficultés ;
- soit ils sont devenus majeurs, et ils peuvent éventuellement s’y opposer pour les raisons évoquées ci-dessus : s’ils démontrent que la diffusion leur cause des conséquences d’une particulière gravité. Mais il faudra pour cela qu’ils puissent également démontrer être reconnaissables par leur entourage actuel. La jurisprudence admet que le seul fait d’être reconnaissable par ses amis proches et sa famille suffit pour que cette condition soit remplie. Il leur restera donc à démontrer les conséquences particulièrement graves que la diffusion a pu avoir.
4 réponses sur « Avez-vous le droit de publier des photos de famille ? »
Merci Hélène (et Joëlle), cela répond parfaitement aux questions que je me pose concernant les photos.
Quid du fait de citer des personnes vivantes dans un texte ? Est-ce que remplacer le nom complet par une initiale peut faire l’affaire ? (j’imagine aussi qu’il faut se garder d’une quelconque diffamation ou ce qui pourrait être considéré comme tel. Mais a priori, ce n’est pas le but d’un récit familial.)
Merci encore, je ne me lasse pas du blog.
Laetitia
Merci Laetitia. Moi non plus, je ne me lasse pas du blog 😉
Les principes de respect de la vie privée ci-dessus concernent aussi les noms.
Si vous publiez au-delà du cercle de famille, remplacer le nom complet par une initiale ne suffit pas forcément.
La question à se poser est : peut-on identifier ou non la personne ?
Si la réponse est oui, il faut demander une autorisation à cette personne, ou à ses descendants susceptibles de subir un préjudice personnel et sérieux.
NB : je vois que, selon les juges (notamment !), la vie privée inclut la vie affective, le patrimoine, la santé, les convictions, les engagements, les loisirs…
L’article est une excellente mise au point ; il est difficile d’émettre un commentaire puisqu’on est dans le droit. Dans mon propre livre j’ai mis la photo d’une cousine quand elle avait neuf ans et moi quatre, sans lui demander sa permission. Il est vrai que je ne diffuse pas ce livre en dehors du cercle familial.
Alors, il n’y a pas de problème !
Cela dit, il vaut mieux garder à l’esprit que certaines personnes sont très chatouilleuses quant à leur image.
Mais votre (grande) cousine ne fait sans doute pas partie de cette minorité 😉
Merci pour votre commentaire, Jean-Michel.